Muriel n’avait que 10 ans et demi, mais elle n’a rien oublié.

« Ce matin-là, à Rivière-Bleue, tout avait si bien commencé, en ce jour de juin 1943. Comme à l’habitude, c’était le réveil, l’habillement, le déjeuner pour chacun de nous.

Étant donné que ma mère veillait sur la maisonnée, elle voyait au départ de ses enfants pour l’école, l’embrassade des plus grands aux plus jeunes qui demeuraient à la maison. Des bonjours à notre mère et le départ pour l’école. Nous revenions un peu plus tard pour l’heure du dîner. Les garçons sortaient de leur cage les quelques lapins que nous avions alors. Les plus jeunes attendaient ce moment avec impatience. C’était un beau moment de joies pour tous.

Puis soudain, on a entendu crier des gens qui disaient qu’il y avait le feu au  »tank » (réservoir) à essence près de la voie ferrée (rue de la Colline) et de la fumée s’en échappait. Aussitôt on est allés avertir notre mère de ce que nous avions vu et entendu. C’était la panique générale au village. Je me souviens qu’il se dégageait une très grande chaleur et le vent soufflait vers les réservoirs. C’était très dangereux pour tout le monde aux alentours. Il n’a pas été question qu’on passe à table. On regardait les gens affolés et nerveux et pour cause. Pas de classe cet après-midi-là. Quant à ceux qui s’étaient présentés à l’école, les religieuses les ont conduits à l’église pour prier.
Alors que nous étions tous dehors, Monsieur le Curé Alexis April passait et nous a dit qu’il serait prudent de rentrer dans la maison, advenant le cas d’une explosion. Il y avait le feu au hangar près des trois réservoirs qui étaient eux remplis à pleine capacité. Le premier réservoir risquait d’exploser à tout moment, vu la proximité du hangar en feu.

Monsieur le Curé, prévoyant une catastrophe, retourna à l’église et revint avec l’ostensoir. Il fit le tour du brasier en vue de faire changer le vent dans le sens contraire et fort heureusement ce qui devait arriver, arriva.

Pendant ce temps un représentant de la compagnie Impérial se présenta chez le propriétaire M. Héroux qui a dit de fermer les valves du haut et d’ouvrir les valves du bas pour éviter la catastrophe. C’est alors que le fils de M. Héroux (Lauréat) se porta volontaire pour effectuer cette tâche héroïque.

Notre mère, complètement désemparée, tenant le plus jeune dans ses bras (1 mois) nous dit à chacun de prendre des effets personnels et nous avons quitté précipitamment la maison à pied pour nous rendre chez un oncle qui habitait tout près.

En chemin, il y avait un camionneur qui s’est arrêté au chantier de Monsieur Landry afin de rapatrier tous les hommes qui voulaient bien venir en aide afin d’éviter la déflagration.

De notre côté, nous, les plus âgés de la famille, on a aidé notre père en faisant la chaîne avec des chaudières d’eau, afin d’arroser la toiture de la maison. Mais fort heureusement, le vent a tourné et les bénévoles ont enlevé les barils d’huile et le feu a été contrôlé.

Beaucoup de peurs et d’angoisse pour les gens du village. Quand tout fut sous contrôle, nous sommes allés chercher notre mère, frères et sœurs chez notre oncle pour le souper (…) »

N.B. Ce qui, aussi, aida beaucoup à contrôler ce feu fut la pompe du gros moulin que l’on déroula de la rivière au lieu du sinistre. En 1933 la pompe ne put être utilisée lors de l’incendie qui détruisit une partie du village car le feu avait commencé dans le réduit où elle était entreposée.

Le jaseur des rivières
(Laurette Beaulieu)

N.B. Ce récit est emprunté au Recueil de nouvelles, Bibliothèque Jacques-Langlais, 2007