Ce qui donne lieu à le plus de commentaires lorsque l’on fait visiter le musée de la gare, c’est cette liste de règlements à l’intention des institutrices en l’année 1915 :
« – Vous ne devez pas vous marier pendant la durée de votre contrat;
– Vous ne devez pas être vue en compagnie d’hommes;
(… )
– Vous devez porter au moins trois jupons ; »
et autres pertinentes recommandations. Ces dames s’exclament et protestent pendant que ces messieurs, les bras croisés, osent un petit sourire en coin.
Mais on aurait tort de penser que ce code de vie ne visait que les institutrices et seulement dans les débuts du 20e siècle. À preuve cette lettre adressée par le député Beaulieu, le 25 février 1943, à Mlle A.R. infirmière de la colonie de St-Jean-de-la-Lande :
« Mademoiselle,
Vous avez dû recevoir, ces jours-ci, une lettre du Ministère de la santé, vous demandant de bien vouloir donner votre démission, étant donné que vous entrez dans l’état conjugal.
Après une longue entrevue avec le Sous-ministre, à cet effet, on me dit que, suivant la loi, ils sont obligés d’agir ainsi, tout en vous laissant à votre emploi. Si un jour, une autre garde-malade faisait application pour cette paroisse, ils seront obligés de vous en avertir, mais je ne crois pas que la chose ait lieu. À mon point de vue, vous ne devez avoir aucune crainte et vous devez continuer à mettre vos projets à exécution. (…) »
Et sans doute Mlle A.R. a-t-elle pu continuer ses visites professionnelles jusqu’à ce qu’elle soit dans un état intéressant. » État intéressant » à l’époque, en autant qu’il soit dans »l’état conjugal » !
Pour la suite, j’emprunte à Sr Marie de Sainte-Laure* un témoignage livré à l’occasion du 50e de Rivière-Bleue :
« Mes contemporains ont-ils oublié la visite de S.E. Mgr Blais au cours de l’année 18-19 ? Visite qui fit frissonner bien des gens quand son anneau pastoral, frappant les bords de la chaire de vérité, accentua les terribles paroles :« L’Église frappe d’excommunication… » . Or, j’avais alors dans ma classe une fillette de dix ans, enfant de famille excommuniée. Un jour, elle vint me dire toute triste : « Les élèves disent que maman est méchante… » La mansuétude du Christ m’inspira comme réponse : « Maman n’est pas méchante, mais elle a de grosses peines ». Un certain jour, M. le Curé me commissionna auprès de cette mère malheureuse. La visite exceptionnelle, je dis bien »exceptionnelle » car on nous avait demandé de couper toute communication sociale ou commerciale avec ces familles excommuniées, la visite exceptionnelle, dis-je, chez cette femme rejetée de la société provoqua l’aveu de toute l’histoire de sa vie. (…) L’existence de (sa) douce enfant irresponsable a été la rançon qui facilita le retour de la mère dans le droit chemin : mariée à 16 ans, veuve à 20 ans, morte à 25 ans à l’hôpital Laval. La mère était décédée un an auparavant à l’hôpital Saint-Sacrement d’un cancer d’estomac après avoir refusé tout calmant, disant aux infirmières « J’ai une vie à expier et je veux faire mon purgatoire sur la terre. » La trame de ces événements m’a convaincue à jamais que le pécheur est plus malheureux que méchant. Mon âme de Sœur du Bon pasteur en a été marquée profondément. Par la suite, je ne pus avoir que compassion, sympathie, pour toutes les jeunes confiées à nos œuvres de réhabilitation. Les dix-huit années consacrées à la crèche St-Vincent-de-Paul ont été les plus belles de ma vie religieuse. »
Autre temps…
*Sr Marie de Sainte-Laure, de son nom Blanche Samson, est arrivée à Rivière-Bleue en 1917 avec ses sœurs Marie-Anne et Alfréda pour être avec Mlle ( ? ) St-Pierre les 4 premières maîtresses du couvent récemment bâti. Elles étaient les nièces de Jean-Gualbert Samson. En 1919 elle entrait au Bon-Pasteur de Québec.
Parlant des Samson, qui ne se souvient de Garde Samson, de Marie-Claire, postière, d’Édouard, marchand ? Une des familles fondatrices de Rivière-Bleue.
Le jaseur des rivières
(Laurette Beaulieu)