Dans le cadre des activités du 100e anniversaire de Rivière-Bleue, la Corporation du patrimoine a pris l’initiative de relever les croix de chemin qui avaient été érigées dans le village et dans les rangs.

La première croix avait été construite au centre du village il y a environ 80 ans, ce qui amena le clergé à vouloir en installer une dans chaque rang. Celle du rang Botsford se trouvait tout près de chez mes parents. Avec l’aide de Lazare Castonguay, mon père, Adéodat Dumais, a construit cette croix sur le lot no 7, lequel appartenait à Thomas Plourde à ce moment-là. La terre fut par la suite vendue à Baptiste Gendron, puis à Émilien Ouellet qui la cultiva pendant quelques années sans jamais habiter la maison. C’est Victor Morneau qui s’y installa. Il la rénova au cours des années et la croix fut déplacée de quelques pieds. La maison passa au feu, mais la croix resta intacte.

Nous habitions la maison voisine dans laquelle j’ai passé mon enfance et une partie de ma vie d’adulte. Mon frère Pierre, qui avait repris le patrimoine familial, acheta la terre de Thomas Plourde et il la cultiva jusqu’à son décès en 1982. Ces terres furent alors vendues à M. Canuel qui les cultiva à son tour pendant quelques années avant de les revendre à Mario Bérubé et il n’en conserva qu’une parcelle, c’est-à-dire le terrain où était logée la maison.

Mon fils André racheta la maison paternelle en 2007. Cet événement me rappela de beaux souvenirs d’enfance, mais aussi des moins heureux. En effet, ce sont mes racines que je retrouvais là. Je revoyais les images tristes des temps difficiles, les décès de mes frères (Léopold à 14 mois, Lucien à 5 ans et Pierre à 48 ans) , mais je me suis aussi rappelé les nombreux fous rires et les moments de bonheur que ma famille y a vécus.

Avec les années, la croix de chemin du rang Botsford s’était détériorée et elle s’était même effondrée. Mon fils a décidé de la remplacer en faisant une réplique de celle qui avait veillé pendant longtemps sur les habitants du rang. Il a pris en charge sa reconstruction et il a préparé le bois avec l’aide de Dany Patry. Lorsque la croix fut terminée, nous avons construit une base de ciment que nous avons pu faire grâce à un voyage de gravier que Pierre Tanguay a généreusement offert.

Le 13 juin 2013, la nouvelle croix était en place. Pour la plupart des résidents, cette date est anodine. Mais pour mon fils et moi, elle est très significative puisque c’est la date du 20e anniversaire du décès de mon père Adéodat. Il avait été parmi les artisans qui avaient érigé la première croix du rang.

Ce triste anniversaire n’était pas sans nous rappeler également le décès de mon épouse, Ghislaine Bélanger, survenu quelques semaines après celui de mon père. On a donc installé deux bacs à fleurs en souvenir de ces deux personnes si chères à nos cœurs.

Originalement, il y avait une petite clôture de bois qui bordait la croix. Lors de la reconstruction, j’ai dit à André que je ne tenais pas à ce qu’il y en ait une nouvelle, car elle me rappelait de mauvais souvenirs. Permettez-moi de vous raconter cette petite anecdote de mon enfance.

À chaque année, à la fin des classes, il y avait une remise de prix à la salle paroissiale pour les élèves des écoles de rang. À 11 ans, j’ai reçu le 1er prix de ma division. Mes compagnons n’avaient eu que des petits prix, ce qui les avait rendus un peu jaloux. Ils montaient dans le rang en direction de leur maison respective et ils marchaient devant moi à environ 100 pas. Arrivés à la croix, ils ont arraché une latte de la petite clôture et l’ont cachée derrière leur dos. Lorsque je les ai rejoints, j’ai reçu un coup de latte sur la bouche. Comme vous le devinez bien, je suis arrivé chez moi ensanglanté. Mon père et ma mère m’ont demandé ce qui m’était arrivé et je leur ai raconté ma mésaventure. Pendant que ma mère pansait mes blessures, mon père attendait mes compagnons de classe devant la maison. C’était un homme imposant avec un caractère autoritaire. Alors, lorsqu’ils sont passés devant lui, ils ont eu droit à un avertissement sévère. Ce fut, je crois, bien clair car ils ne se sont jamais réessayés…

Voici une partie de la petite histoire de la croix du rang Botsford.

Cette nouvelle croix a été érigée en 2013, en mémoire de tous ceux qui ont vécu dans ce rang et pour tous ceux qui garderont de merveilleux souvenirs associés à des parcelles de leur vie au rang Botsford.

Le jaseur des rivières
(Albert Dumais)