« En 1921, dans l’ancienne chapelle qui n’était pas encore démolie, nous organisons pour la fête de Noël au soir, une veillée de cartes avec une vente publique de paniers, le tout en faveur de l’Église.
Le soir, la salle est remplie. On joue avec un entrain endiablé. Tous les notables y assistent et même les protestants anglais, de braves citoyens. Le fameux Fred Lévesque y assiste avec ses hommes.

Des paniers avaient été préparés par les gens, et ces paniers avaient tous des décorations qui les rendaient attrayants. Naturellement, ce sont les femmes qui avaient fait le travail, et ce sont les hommes qui devaient les acheter. Il y avait des jeunesses galantes et amoureuses qui avaient apporté leur panier et qui devaient les acheter pour en manger les gâteaux avec leur petite ou grande blonde. Alors il y avait une émulation : c’est à qui achèterait le panier de  »un tel » afin de lui jouer le tour de le manger avec la fille de celui qui l’avait donné.

Alfred Lévesque avait acheté un gros et beau panier à Montréal, et naturellement il voulait l’acheter pour le donner à sa femme. Le panier allait au plus haut enchérisseur. Or les  »jeunesses » s’étaient donné le mot pour le lui faire payer le plus cher possible.

Le crieur annonce : « Le beau panier de Fred Lévesque, un prix… »

On entend Lévesque qui crie : 50$.

De suite un autre relance : 100$

Lévesque : 110$

Un autre : 120$

Alors Lévesque qui ne voulait pas se laisser couper l’herbe sous le pied, crie à tue-tête :150$

Et c’est ainsi que ce panier rapporta cette jolie somme. Mais ce ne fut pas seulement son panier qu’il acheta. Il dépensait ce soir-là la somme de 400$.

D’autres paniers se vendirent 25$, 30$ et 50$. La recette nette de cette soirée fut de 810$. »

C’était une page de l’histoire de notre paroisse tirée de Les mémoires du curé Thériault.

La chapelle où se tint cette soirée bénéfice est celle de 1914, toute en bois et construite au bas de la butte sur laquelle est érigée l’église actuelle. Elle sera démolie et son bois servira à la construction de la forge et de la maison de Télesphore Morneau.

Monsieur le curé Thériault pouvait être content de sa soirée et de la générosité de ses paroissiens, surtout lorsque l’on sait, entre autres choses, qu’un travailleur du moulin gagnait aux alentours de 25$ par quinzaine. Monsieur Thériault était arrivé à Rivière-Bleue en janvier 1920, âgé de 33 ans. En plus de son ministère il devait veiller à terminer la construction de l’église actuelle. Ses batailles contre la contrebande de boisson sont restées mémorables. Mais il était difficile de refuser les générosités d’Alfred Lévesque. Celui-ci, quoiqu’en dise la rumeur, n’a pas payé la construction de l’église, mais il participait activement à toutes les activités sociales et paroissiales.

Mon père me racontait, qu’au temps des Fêtes, il aimait se déguiser en Père Noël et se promener en traîneau en distribuant bonbons et pièces de monnaie aux enfants. Un Noël, il avait poussé l’outrecuidance jusqu’à monter au jubé pour épandre ses largesses. On n’ose imaginer la colère du bon curé.

En 1926, le curé Thériault, pour des raisons de santé, quitta la cure de Rivière-Bleue pour une cure plus petite, sans avoir réussi à payer son église.

Le jaseur des rivières
(Laurette Beaulieu)