Nous étions le 24 décembre 1913, Rivière-Bleue comptait 400 habitants, un premier train s’était arrêté à Tarte, la Blue River Lumber construisait sa scierie. La première église, la municipalité, la paroisse, c’était pour l’an prochain…

« Dans l’unique rue qui traversait alors le village de la Rivière-Bleue, et autour de l’école chapelle, il y avait, en cette soirée froide du 24 décembre 1913 une animation tout-à-fait inaccoutumée…
Des coins les plus reculés de la paroisse, comme de toutes les maisonnettes du village, depuis les bords du lac Beau jusqu’aux hauteurs de St-Eusèbe, de partout, les colons et les villageois se dirigeaient, par des chemins déjà remplis de neige, vers le cœur du village, vers cette humble école-chapelle où, pour la première fois ce soir, on allait célébrer la Fête de la naissance du Sauveur.

Il y avait confessions, et l’abbé Gauthier, le dimanche précédent, avait convié ses paroissiens à se bien préparer par une bonne confession à la grande Fête de Noël. Aussi, nombreux étaient ceux qui voulaient marquer d’une sainte communion cet événement si important pour leur paroisse naissante.

Cette chapelle-école, construction de 30 x 40 pieds, qui s’élevait juste en face de l’église actuelle, mais beaucoup plus près du grand chemin était modeste ; mais Notre-Seigneur ne devait pas y regarder de si près, lui qui avait consenti à naître dans une étable.

La salle qui servait pour les offices était, elle aussi bien modeste et se prêtait bien peu aux grandes décorations. On y élevait un autel temporaire pour les offices du dimanche. Pour cette cérémonie de la messe de minuit, chacun s’était efforcé d’apporter son concours pour décorer le mieux possible cette salle aux murs nus. Monsieur le curé Gauthier avait revêtu l’autel de ses plus belles parures, empruntant au besoin chez l’un ou l’autre ce qui manquait pour donner un air de fête à l’humble desserte.

Monsieur Augustin Quenneville, qui remplissait à titre bénévole la charge de sacristain, était très affairé à mettre tout le meilleur ordre pour cette circonstance mémorable ; et c’est lui qui, le premier, devait faire retentir les airs joyeux de l’humble cloche appelant les résidents à la messe de Minuit.

Au cours de la soirée, on s’avisa de penser qu’une messe de minuit sans musique paraîtrait bien un peu triste. Qu’à cela ne tienne… Monsieur Salomon Côté demeure tout à côté de la chapelle, et il possède un harmonium, ce qui est quasi providentiel. Vite on va le lui emprunter et l’instrument de musique est transporté dans la chapelle improvisée…

Et, quand enfin sonne minuit, et que monsieur le Curé Gauthier fait son entrée dans la chapelle remplie à pleine capacité, le petit harmonium dont les sons grêles parurent, ce soir-là aux assistants au moins aussi beaux que les grandes orgues des cathédrales, remplit l’humble local des notes entraînantes du « Minuit, Chrétiens », chanté par monsieur Victor Aubut. Madame Aubut touchait l’harmonium.

Il y eut grand-messe solonelle (sic). Le chœur de chant, dont faisait partie monsieur Victor Aubut, monsieur Augustin Quenneville, mademoiselle Madeleine Sirois, institutrice à l’école, monsieur Omer Fortin, alors âgé de dix ans, et quelques autres, rendit -peut-être pas à la perfection, à cause d’un manque complet de préparation- mais sûrement avec tout son cœur, une messe simple mais combien touchante.

Et, durant la messe de l’Aurore, les chantres, toujours accompagnés à l’harmonium par madame Aubut, firent joyeusement retentir les murs de l’école-chapelle de nos anciens chants de Noël toujours nouveaux et toujours aussi beaux.

Ce fut vraiment une belle cérémonie. Parmi l’assistance de plus de quatre-vingt personnes, plusieurs surtout parmi les plus vieux ne purent retenir des larmes de joie. Enfin leur paroisse de Rivière-Bleue allait connaître une organisation paroissiale comparable à celle de ses paroisses sœurs ; enfin, il y aurait pour tous, et tous les dimanches de l’année, de beaux offices religieux durant lesquels il ferait bon prier Dieu de tout son cœur…

Au premier rang de l’assistance, on remarquait les syndics nouvellement élus : MM. Amable Morin, Joseph Gagné et Joseph St-Pierre accompagnés des principaux membres de leurs familles.
On avait fait une place d’honneur, la plus rapprochée de l’humble crèche, au pionnier du village, monsieur Joseph Tremblay.

On voyait encore, ayant à leurs côtés leurs épouses et les plus vieux de leurs enfants, ces premiers colons de l’endroit que sont MM. Salomon Côté, Aurèle Morneau, Stanislas Caron, Émile Thériault, Alexandre Bélanger, Elzéar St-Hilaire qui sera le premier à contracter mariage dans la nouvelle paroisse, M. Johnny Lepage, M. François Charest, et bon nombre d’autres dont les noms nous échappent.

N’y avait-il pas jusqu’à l’ancêtre des colons de la paroisse, M. Joseph Nadeau, établi au lac Beau depuis 1860, et venu à cette messe mémorable, accompagné de ses enfants et petits-enfants.
Ce fut une Messe de Minuit inoubliable qui a laissé des souvenirs ineffaçables dans la mémoire des assistants. Pour ceux des paroissiens que leurs devoirs d’état ou la nécessité de garder les plus jeunes enfants avaient retenus à la maison, le bon Curé Gauthier devait dire une messe basse, à neuf heures, le jour de Noël, 25 décembre 1913. »

Ce texte publié dans Le Semeur de décembre 1952 (SSJB de St-Éleuthère) , et repris dans 65 ans d’histoire de Gérard Côté, avait été préparé grâce à la documentation recueillie par l’inspecteur Mailhot, au cahier des prônes, aux témoignages des survivants, MM. Amable et Omer Morin, Madame Victor Aubut et au manuscrit de famille de la famille Aubut Origines de chez nous.

Le jaseur des rivières
(Laurette Beaulieu)