La jeune maîtresse

Voyons ce qui se passe en 1924 : la jeune maîtresse n’a pas trouvé d’engagement près de chez elle. Elle doit donc, après l’ouverture des classes, tenter l’aventure à Rivière-Bleue qui semble, à l’époque, bien loin de Cabano, à cause des moyens réduits de transports et des chemins plus ou moins carrossables. Pour être rendue à temps, elle prend le train à Cabano le dimanche pour débarquer sur la plate-forme Cloutier; là, le curé Thériault de Rivière-Bleue l’accueille et lui fait prendre place dans son automobile. Ce cheminement lui paraît périlleux; il y avait toujours des cahots et les cailloux du chemin frappaient bruyamment sur le métal de la carrosserie; dans les côtes de Saint-Eusèbe, de temps en temps, la tête de la passagère heurtait le plafond de l’auto.

Rendue à Rivière-Bleue, elle séjourne à l’hôtel O’Leary, en attendant que le curé vienne la chercher le lundi pour lui montrer l’école. Et, ce jour-là, avant de l’amener à l’école, il la conduit à sa maison de pension en disant :

– La madame ne sait pas que tu vas aller pensionner là.
– Tout d’un coup qu’a veut pas.
– On va aller voir, occupe-toi pas.

Une madame Héroux, elle avait cinq enfants cette femme-là, puis…elle en attendait un autre. Elle dit :

– M. le curé, j’peux pas, c’est impossible.
– Je la laisse ici, je la laisse ici, et puis je sais qu’elle va vous aider, elle va être d’un aide précieux.

La jeune inconnue était plutôt mal à l’aise. L’hôtesse finit par accepter : « Il va falloir qu’elle m’aide ». Par la suite la jeune maîtresse d’école témoigna : « C’était du bon monde tellement gentil que j’étais chez nous ».

Le dimanche suivant, M. le curé intervint du haut de la chaire : « Dans le rang 6, je vous ai trouvé une institutrice, elle est pas grosse, elle est pas vieille, il faut que vous l’aidiez sinon elle va s’en aller elle aussi; ça fait deux ans que vous n’avez pas de classe parce que vous ne soutenez pas vos maîtresses ».

« Il leur fait un sermon en règle…puis, c’est rentré dans l’ordre, je me suis attachée aux enfants. Seulement, moi j’ai failli, j’ai tombé malade, j’ai été obligée d’abandonner au mois de février, j’étais brûlée au coton. »

(Paru dans Le Témiscouata, novembre 1981. Repris dans Le livre du 75e de Rivière-Bleue page 77)